LA BIODIVERSITÉ ET L’ÉCOSYSTÈME
Appartenant à la province du Nouveau-Brunswick et exploité par elle, le pont-chaussée de la Petitcodiac, construit en 1968, a considérablement modifié les fonctions naturelles de l’écosystème de la rivière Petitcodiac, d’une superficie de 2 000 km2, en créant un étang artificiel de 21 km en amont (appelé “lac” par les opposants à la restauration) et en entravant le passage des poissons sur plus des deux tiers (1 340 km2) du bassin hydrographique.
Le pont-chaussée a été construit en tenant très peu compte de l’écologie et des préoccupations de conservation pour l’un des plus importants estuaires macrotidaux du Canada. D’importants biomes aquatiques et habitats estuariens ont été profondément affectés par la construction du pont-chaussée de la rivière Petitcodiac. Dans les années qui ont suivi la construction, les populations de poisson ont considérablement diminué dans la rivière. Des stocks entiers d’espèces indigènes de poisson ont disparu entre les années 1980 et 1990.
MIGRATION DES POISSONS
La migration des poissons a été immédiatement affectée par le projet de construction du pont-chaussée en raison de l’activité de construction et de l’accumulation de sédiments. Les poissons en migration comme le saumon de l’Atlantique ont besoin d’un flux d’eau douce (flux d’attraction) afin de stimuler leur mouvement vers l’amont. Le pont-chaussée a bloqué ce flux et a créé une barrière physique pour les poissons en migration. Des passes à poisson à fentes verticales ont été construites dans le but de créer ce flux et de permettre le passage des poissons en amont. Toutefois, l’extrême sédimentation dissipant le flux d’attraction et les très hautes marées de l’estuaire ont été les principaux facteurs contribuant à l’inefficacité des passes à poisson.
Avant la construction de la chaussée, on estimait que les montaisons annuelles de saumons se situaient entre 3 000 et 5 000. De 1969 à 1972, les enquêtes sur le passage des poissons ont indiqué que 140, 345, 895 et 468 saumons adultes entraient dans la rivière chaque année. Avant 1968, les montaisons d’alose dans la Petitcodiac étaient estimées à plus de 50 000 à 75 000 poissons par an. Un dénombrement à la passe migratoire du pont-chaussée en 1972 n’a donné que 19 aloses. En 1979, les scientifiques fédéraux de la pêche recommandaient l’élimination complète des vannes du pont-chaussée comme “le meilleur moyen d’assurer le passage des poissons”.
Les espèces qui ont été éliminées en raison du pont chaussé comprennent le saumon de l’Atlantique (sauf pour le repeuplement), l’alose savoureuse, le poulamon de l’Atlantique et le bar rayé. Les espèces dont la population a été fortement réduite sont l’omble de fontaine et l’éperlan arc-en-ciel.
ESPÈCE DISPARUE : ALASMIDONTE NAINE
Le bassin versant de la rivière Petitcodiac est le seul endroit au Canada où l’on a enregistré la présence de l’alasmidonte naine et l’une des deux seules zones où l’espèce est considérée comme commune (l’autre étant le réseau hydrographique du Connecticut). L’alasmidonte naine produit un stade larvaire parasite qui nécessite de s’attacher à un poisson-hôte pendant une courte période de son cycle de vie. Il est très probable que l’éradication du poisson-hôte par le pont-chaussée soit la cause de la disparition de l’alasmidonte naine dans la rivière Petitcodiac. L’alose savoureuse, qui a été presque immédiatement éliminée après la construction du pont-chaussée, était le candidat le plus probable pour l’hôte de cette espèce.
Les constructions de barrages qui ont fait disparaitre les poissons-hôtes ont été liées au déclin de cette alasmidonte naine ailleurs. Aux États-Unis, l’alasmidonte naine a disparu de tous les endroits connus, sauf 20 sur 70, et est classée comme une espèce menacée. En avril 1999, l’espèce a été classée comme “disparue du Canada” par le Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada (COSEPAC).
SÉDIMENTATION
Une sédimentation massive s’est produite en amont et en aval pendant et immédiatement après la fin de la construction de la structure du pont-chaussée. On estime que 10 millions de mètres cubes de sédiments se sont accumulés dans les 4,8 km de rivière en aval du pont-chaussée au cours des trois premières années (Bray et al. 1982). Cette sédimentation massive a été bien plus importante que ce qui avait été prévu par les concepteurs du pont-chaussée. Un grand plateau de boue a commencé à se former sur le côté aval de la chaussée avant même que la construction ne soit terminée. Cette plaine de boue a été estimée à plus de 400 ha en 1997 (Harvey, 1997). La boue est devenue si dense qu’environ 15 % d’un ancien dépotoir sur la rive de Moncton, juste à côté du pont-chaussée, s’étend maintenant sur la plaine de boue.
En 1979, l’envasement en aval avait fait monter le lit de la rivière de 3 à 3,7 m. L’arrêt de la marée montante au niveau de la chaussée a provoqué une sédimentation extrême en aval de la chaussée. Cela a réduit la largeur de la rivière au niveau de la chaussée de 92 % (de 1 km en 1968 à 80 m en 1998) (Naegel et Harvey, 1998). Les effets sont également évidents à Bore Park, où les dépôts de limon avaient réduit la largeur de la rivière de 1,6 km avant 1968 à 120 m en 1998. En l’an 2000, des dépôts massifs de limon couvraient 95 % de la rivière près de Moncton et s’étendaient sur 35 kilomètres en aval jusqu’à la baie de Shepody.
La sédimentation en amont était d’une part causée par l’afflux d’eau salée par la passe migratoire des poissons et, lorsque la marée était plus haute que le niveau du réservoir, par la fuite causée par les vannes. Au cours des dix premières années d’existence du pont-chaussée, jusqu’à 3,7 à 4,3 m de sédiments de limon s’étaient accumulés dans le bassin de tête, ce qui représentait 10 % de son volume. Une fois ces sédiments entrés dans le réservoir, il était pratiquement impossible de les renvoyer en aval et, par conséquent, ils s’accumulaient continuellement sur le lit. Si rien n’était fait pour remédier à cette situation, on estimait que le bassin de tête deviendrait essentiellement un marais d’eau douce en quelques décennies.
MASCARET
Autrefois réputé comme une merveille naturelle du monde et considéré comme une attraction touristique de premier plan au Canada atlantique dans les années 50 et 60, le mascaret de la rivière Petitcodiac a été gravement touché par la construction du pont-chaussée. Réduit à une simple vaguelette, objet de ridicule et d’embarras dans la communauté (rebaptisé “mascaret nul” par les cyniques) et pratiquement ignoré par l’industrie du tourisme, le phénomène a été essentiellement relégué au domaine nostalgique des mythes et légendes urbaines. Entre 1969 et 2010, selon l’amplitude du phénomène, la vague dans la rivière Petitcodiac varierait de quelques cm de hauteur à un maximum de 75 cm (jusqu’à 2 m avant la construction du pont-chaussée), et des vitesses allant de quelques km/heure à 13 km/heure.
NAVIGATION
Autrefois hôte d’une industrie navale florissante, les conditions naturelles de navigation ont été éliminées près de Moncton en 1970, la communauté devenant ainsi la première au Canada à perdre son droit inhérent à une voie navigable.